Du tout au rien

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Quand mon père ne pouvait plus marcher, quand il ne pouvait plus bouger, quand il ne pouvait plus respirer et que le moindre mouvement lui demandait un effort insurmontable… Je lui disais que c’était ainsi maintenant, qu’il était en vie sous ces conditions et qu’il devait l’accepter. Je récusais la violence du mot handicap dans sa bouche, moi qui n’ai tellement pas peur de ce mot là.

Aujourd’hui, je suis assise dans mon canapé, les plus petits mouvements font mal. A peine. Comme un rappel. Tu ne dois pas bouger. Tu ne peux pas. Tu as un trou dans le ventre et il faut que la couture tienne.

Ce n’est qu’un état passager, quelques jours, quelques semaines tout au plus. Ce n’est qu’une minuscule opération tellement banale qu’elle ne mérite pas cette cascade de mots. Ce n’est rien.

Dans un mois ou deux, j’aurai retrouvé la réalité de mon corps, de ma vie active. Je pourrai, à nouveau, marcher, courir, faire du sport.

En attendant, je suis là, dans mon canapé. L’ennui plonge sur moi malgré les parades que je dresse contre lui. La fatigue m’empêche de contrer l’immobilisme par la réflexion, mes pensées sont ralenties, embrouillées. J’ai besoin de repos.

La semaine dernière, j’étais la vie, exubérante, tonitruante, mouvementée, tellement dynamique. J’avais tant à faire en si peu de temps, avant la date limite, celle qui me ferait passer du tout au rien. Je le savais.

Maintenant je le vis. Ralentie. Enfermée. Diminuée.

Et pourtant, ce n’est rien, rien du tout.